Le temps est une dimension inquiétante que nous avons du mal à comprendre et à intégrer. Plus que les trois autres de notre continuum, elle présente ce caractère de relativité qui nous fait la percevoir différemment selon les circonstances et parfois même selon les lieux.
Qu'il est long à passer, le temps qui nous sépare d'un événement heureux que nous prévoyons ! Qu'il file vite, celui qui nous rapproche de l' échéance d'un moment désagréable ! Etonnante subjectivité.
Curieusement, il arrive aussi que sa mesure et son unité changent en fonction du contexte ou de la qualité des personnes qui l'évoquent. Ils ne sont pas les mêmes pour l'homme pressé ou pour la femme détendue et patiente. Ils n'ont pas la même intensité ni le même poids sur des lieux de travail ou dans un espace de vacances.
Ce qu'il y a d'étrange, c'est que le temps semble s'adapter au domaine d'activité des uns et des autres, qui lui donnent un sens commun et partagé dans le langage vernaculaire propre à la profession qu'ils exercent.
Il y a le temps des agriculteurs, celui des militaires, le tempo des musiciens, la minute des coiffeurs...
Il y a aussi, je viens de le découvrir, le temps réservé au monde médical, qui révèle sa singularité au fil des péripéties qui ponctuent la vie du malade hospitalisé, celui qui porte à bon droit le nom de patient tant il semble destiné à attendre, attendre encore et attendre toujours.
Deux exemples illustrent bien la façon dont la dimension temporelle a été adaptée aux nécessités de la vie médicale.
Il y a, en tout premier lieu, la notion d'urgence. Pour le commun des mortels, une chose est urgente quand elle doit être accomplie dans un délai très bref, qu'il y a éventuellement danger à la retarder.
Quand vous entrez aux "urgences" d'un hôpital, on vous autorise très vite à vous assseoir sur un banc d'une salle d'attente ou à vous coucher sur un brancard soigneusement garé dans un lieu d'intense passage. Là, on vous invite à attendre calmement l'heureux jour où l'on s'occupera de vous de toute urgence.
C'est ainsi que, il y a peu, j'ai attendu huit heures entre le moment de mon admission -exigée par mon toubib traitant affolé- et celui où un médecin urgentiste alangui a bien voulu poser un oeil distrait sur ma pauvre dépouille.
Fort heureusement, ma vie n'était pas immédiatement en péril et j'ai survécu jusqu'ici.
Autre application sémantique spécifique à la profession médicale : le rendez-vous.
Lorsque vous avez rendez-vous chez votre coiffeur, vous pouvez débarquer à la date et à l'heure prévues et, quelques minutes après, vous vous retrouvez entre les mains expertes de votre artiste capillaire.
Il en va tout autrement à l'hôpital, où le moment du rendez-vous fixé est celui à partir duquel vous pouvez espérer vous voir poussé de votre chambre à un couloir proche du service où l'on vous attendra, comme prévu, pendant un temps indéterminé mais long.
L'heure du rendez-vous n'est jamais qu'une vague information indicative du moment à partir duquel la probabilité de subir un examen programmé de longue date commencera à augmenter lentement.
Comme on peut le voir, les acteurs du monde hospitalier ont leur vocabulaire personnel, leur compréhension intime et réservée de la notion de temps qui passe. Le tout est de la savoir et de parler comme eux.
François Ribard