Il y a la gastronomie, bien sûr, qui devient chaque jour plus inaccessible à celui qui n'a pas les revenus d'un P-DG de banque, mais il y a aussi la cuisine quotidienne, ordinaire, habituelle, qui ne perd rien à être simplement bonne.
Il ne faut peut-être pas vivre pour manger, mais il faut manger pour vivre et bien manger pour vivre bien.
La chose, malheureusement, est de plus en plus difficile à atteindre, même si la nature, généreuse, nous a doté d'un réel talent de cuisinier.
Celle ou celui qui ne peut s'approvisionner que chez des commerçants ou, pire encore, dans un grand magasin a aujourd'hui les plus grandes difficultés à se procurer des produits de qualité qui ont gardé les saveurs d'autrefois.
On ne trouve plus que des fruits insipides, des viandes fades, des légumes inodores et sans saveur.
J'ai cru un temps que j'étais frappé d'agueusie, mais des conversations m'ont rassuré. Nous sommes nombreux à éprouver le même manque de sensations quand nous nous sustentons. En outre, j'ai eu le plaisir, il y a peu, de goûter les fruits et les légumes qu'un ami chanceux élève dans son jardin. Ils ne manquaient pas de sapidité !
Ce sont donc bien les produits que l'on achète dans une boutique ou sur un marché de quartier qui sont devenus plats, douceâtres, ennuyeux.
Les agriculteurs, les producteurs de fruits et de légumes, les éleveurs, expliquent très logiquement ce triste phénomène. Nombreux sont ceux qui vendent leur production aux acheteurs des "grandes surfaces".
Ces derniers n'ont qu'une idée en tête, qu'une obsession : acquérir au moindre prix possible et en grande quantité. Pour conforter les marges. Ils forcent donc les agriculteurs à produire beaucoup et au moindre coût. Et tant pis pour la qualité. Les clients, de toutes les façons, achèteront et seront d'autant plus ravis que les prix seront bas.
Nous voici donc contraints d'avaler des tomates parfaitement acqueuses, des poulets en buvard, des steacks en papier déjà maché, des pommes farineuses sans goût, des poivrons qui ne font que passer sans émouvoir nos papilles.
En plus, si les saveurs s'en vont, les prix, eux, s'en viennent. Tout augmente, vertigineusement.
Aujourd'hui, il faut épargner pendant deux ans pour pouvoir acheter un poireau et dix ans pour s'offrir une tranche de jambon. C'est terrible !
Je profite de ce mouvement d'humeur pour vider une colère née il y a quelques jours.
Assoiffés, mon épouse et moi avons été bourgeoisement écluser dans un bistrot deux sirops à l'eau. Coût de la manoeuvre : 11 euros. Voici qui fait chère la molécule d'H2O ! Et, naturellement, les boissons n'avaient pas le moindre goût.
Là, on donne franchement dans le scandaleux, dans l'odieux et dans l'insupportable !
Va-t-on revenir un jour aux plaisirs de la table ? Il faudrait que les consommateurs disent leur mot, qu'ils boycottent les produits de piètre qualité et les commerçants excessivement avides.
Peut-on l'espérer ?
François Ribard